Inertie
2019
fil de coton mercerisé DMC, bois de hêtre

Réalisé dans le cadre de l’exposition Cobalt, une proposition de l’association Le Tube au Faubourg 12 à Strasbourg (FR). Avec le soutien de DMC Mulhouse.


Collection du MAMCS, Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg.




Exposition Looking at a Blackbird, Kunstverein, Freiburg (DE), 2021-2022




Le fuseau est un petit instrument cylindrique, servant à tordre et enrouler le fil dans le filage à la quenouille. Souvent complété par une fusaïole objet conique ou discoïde, percé d’un trou central destiné à recevoir l’extrémité du fuseau auquel il sert de volant d’inertie durant le filage. Son utilisation était répandue avant l'accès des sociétés humaines au mouvement rotatif continu, avant l'invention du rouet.
« Dans le fuseau, forme la plus simple, le mouvement donné par le pouce et l’index, est régularisé par un volant. Dans quelques cas, c’est contre la paume de la main et la cuisse que l’on donne l’impulsion »1 .
Paradoxalement, pour réaliser cette pièce, j'opère un transfert de fil mécanique entre le cône en carton qui se dévide, et le tourillon en bois qui se remplit progressivement. Le moteur de ventilateur alimentant la bobineuse a une vitesse de rotation de 1.300 tr/min, donc 1300 tours de fil de coton par minute, ce qui correspond à environ 46 millisecondes pour un tour de fil. Le volume de chaque pièce est donc proportionnel à une durée de rotation. Ainsi, les fuseaux deviennent des outils de mesure du temps analogique.
Ici, leur mouvement est momentanément interrompu dans l'espace. Le temps est suspendu. Les fuseaux oscillent lentement au gré des courants d'air et des passages. Au moindre mouvement, les pièces se frôlent légèrement, s’entrechoquent en silence.
Le fuseau est un objet anachronique, mais pour beaucoup d'entre nous, il éveille des souvenirs liés à des références communes. Associé à la figure féminine de la fileuse, rencontrée dans les contes des frères Grimm, dans le mythe des Parques ou encore en référence à la déesse Frigg, occupée à filer les nuages. C'est son caractère si désuet et à la fois si bien conservé dans la mémoire collective qui m'intéresse, comme un éloge de l'inertie, résistant à la précipitation de tout au monde.

1 André LEROI-GOURHAN, L'homme et la matière, édition Albin Michel, 1943 et 1971, p.249.