La terre est grande
2023
Laine feutrée, teinte à la noix de galle et verge d’or du canada
Vue de l’exposition “Tout à l’horizontale”, Ergastule, Nancy, mars 2023.
Les feutres suspendus expriment par le moyen
de la couleur une sensation vécue et des émotions teintées par un instant
précis du voyage : un souvenir mauve, vert absinthe ou brun terre. La
laine teintée est disposée sont disposées en aplats aux bords indécis provoqués
par le processus de feutrage. Les pièces ont été produites collectivement utilisant
la technique traditionnelle Kirghize du feutrage au pied.
Extrait du carnet de voyage :
16 avril 2023, province d’Issyk-Kul,
Les couleurs sont douces à cette période de
l’année : bleu-clair, mauve, brun pastel, vert-de-gris au sol, rose et
blanc franc des fruitiers en fleurs, puis un vert acide presque jaune fait son
apparition timide sur les branches des bouleaux, des saules et des ormes. Nous
longeons la côte Nord du lac Issyk-Kul à bord d’une Marchroutka. À mesure que les paysages défilent, apparaît
ce même bonheur ressenti en juin 2022, une reconnaissance profonde face aux
circonstances, face à la chance inouïe de parcourir ces terres. J’observe les petites maisons blanches aux
cadres de fenêtres en bois peints en bleu, les toits en tôle ondulée vert anis,
les barrières en lattes aux couleurs fades dont la peinture s’écaille et de
jolis portails à deux battants, assemblés en chevrons. La neige vient de se
retirer, la terre paraît sèche, endormie, mais je connais l’explosion de
verdure qui aura lieu bientôt, l’apparition de prairies saturées de végétation
florissante et gorgée d’eau.
Extrait du journal d’atelier :
Mouzon, septembre 2022,
Àl’extérieur : l’automne, rouge vif, orangé, bordeaux, la Meuse blanche et
grise, marron, le vert s’éteint, le ciel vire au gris, les pierres jaunes,
beiges, blanchâtre, le rosé des maisons et des pavés de Mouzon.
Àl’atelier : Tanaisie, Millepertuis, verge d’or du Canada, noix, noix de
galle, bois rouge, indigo, racine de rumex, prunelles et racine de prunellier,
sureau yèble, oignon rouge et jaune, bois de campêche.
Mon travail, habituellement si sobre et
monochrome, se trouve soudainement envahit de couleurs. Ne sachant que dire,
que faire avec des couleurs si vives, mais emprise d’une appétence insatiable
pour la teinture végétale, j’atténue la palette : je fadis les nuances par un épuisement des
teintures et en mélangeant les laines à la cardeuse, afin d’obtenir des
couleurs plus délicates, des brun-rouge chinés, des gris-bleu poudré et
mauve-marron.
Tout à l’horizontale
2023
fonte de verre.
Entre fiction et réalité, la pièce mêle librement
mythes kirghizes, personnages historiques, inventions et histoires
personnelles.
Tout à l’horizontale est un objet vecteur de
récit, sa forme est inspirée des sceaux-cylindres du Proche-Orient ancien,
destiné à être roulé sur l’argile fraîche ou toute matière molle à mémoire de
forme.
Le sceau-cylindre est un outil d’impression
cylindrique en pierre, sa surface est minutieusement gravée pour laisser
apparaître un motif, mettant en scène de multiples figures du monde réel ou
imaginaire. Pendant plus de 3 000 ans, ces sceaux servaient à garantir
l’intégrité d’un contenu ou à authentifier un document administratif par
scellé. Ils nous livrent aujourd’hui de précieux détails sur les
conditions d’existence spirituelles et matérielles de ces peuples.
Ici, le verre transparent poli vient remplacer la
pierre rendant possible la lecture de l’iconographie en intaille. À mesure
que la main fait tourner la roue, les figures s’animent.
Il y a, Manas, le mythique héros kirghize
sur son cheval, personnage principal de la plus longue épopée du
monde. Transmis oralement par les manaschis, le poème propose un
récit se transformant d’un interprète à l’autre. Ancrée dans la culture nationale,
une statue à l’effigie de son principal protagoniste est venue remplacer celle
de Lénine pour célébrer les 20 ans de l’indépendance du Kirghizistan sur la
place Ala-too à Bichkek.
Dans la frise de Tout à l’horizontale, les
figures animales et humaines, dans des gestualités empathiques et affectives se
portent, se soutiennent, s’agrippent l’une à l’autre, chutent ensemble et
s’envolent à nouveau.
Une scène du récit présente le cheval portant la femme
souffrante, avachie sur son dos, s’agrippant à son cou. À la façon
d’une pièta, l’homme à tête de cheval rattrape la femme tombée de sa
monture. Vulnérable et blessée, il la porte sur son dos. Cette figure
fait référence à ma tentative d’évacuation à cheval suite à une chute en
montagne en juin 2022 au Kirghizistan.
L’homme reprend sa figure humaine pour le passage
héroïque et dangereux d’un barrage hydraulique au fond d’une vallée kirghize,
un souvenir du même voyage.
Les rôles s’inversent : l’homme porte le
cheval. Cette image est née des fabulations de nos amis auditeurs des
récits de voyages, pris de confusion avec le grand Kojomkul. Héros
Kirghize né en 1888, dans un village aujourd'hui nommé Kojomkul, son exploit le
plus célèbre est d'avoir porté sur ses épaules son cheval sur une distance de
cent mètres.
En fin de frise, la chute : une longue
étreinte. Cette image fait référence aux amants de Sarajevo, Admira
et Bosko, couple abattu par un tireur isolé alors qu’ils traversaient,
rassurés par la promesse qui leur avaient été fait de faire taire les
armes, le pont Vrbanja afin de quitter ensemble la ville assiégée.
Bosko arrêté par une balle en plein cœur, a été
rejoint par Admira, touchée, qui a rampé jusqu’à lui. Le couple enlacé,
aux corps confondus, est resté une semaine sur place.
Mais le lieu du rêve existe, Manas s’envole sur sa
monture. La fiction persiste et résiste.
L’odeur de l’Absinthe
2022
Branche d’absinthe du Kirghizistan, extrait d’une nouvelle de Tchinguiz Aïtmatov
Le
terme absinthe vient du grec apsinthion et signifie « privé
de douceur, elle symbolise l’absence ». Originaire des régions
continentales à climat tempéré, elle pousse sur les terrains incultes et arides
et sur les pentes rocheuses, au bord des chemins et des champs. En allemand, Wermut(absinthe) évoque la tristesse et l’amertume. L’expression « Wermutstropfen »,
littéralement « goutte d’absinthe » désigne l’inconfort, la douleur, qui se
glisse dans une expérience heureuse en apparence, soit une pointe d’amertume
qui ternit un moment de bonheur.
Extrait
du carnet de voyage :
Juillet
2022, At-Bashy,
À
Acha-Kaiyndy, les habitants sont accueillants, ils sourient et lèvent la main
pour nous saluer. Les enfants s’adressent à nous avec quelques mots d’anglais
appris à l’école. Nous marchons en direction des montagnes, à la recherche d’un
endroit pour la nuit. Il fait chaud, nous longeons la rivière, le courant est vif
et puissant. Plus nous nous éloignons du village, plus son cours devient
étroit. Les berges verdoyantes sont magnifiques, j’ai rarement vu une herbe
aussi généreuse, des orchidées sauvages parsèment les prairies.
Les soudes, Salsola, et les
armoises šibak en kirghize, sont omniprésentes dans les steppes. L’absinthe est
une armoise ou Artemesia, famille d’herbacées, arbrisseaux et arbustes,
généralement aromatiques.
Son odeur enivrante accompagna la plus grande partie de notre itinérance. Nous
plongeant sans cesse dans la fiction de Tchingiz Aitmatov, « L’œil du chameau »
deuxième nouvelle du recueil « Le premier Maître ».
L’absinthe de l’anarkai ! Enfin sa description prenait vie sous nos pieds,
devant nos yeux et dans nos narines. J’en conserve un précieux morceau dans
l’étui de mon appareil photo.
Le champ aux alouettes
2022
Roseau commun à balais, laine naturelle et teinte à la noix de galle et au bois rouge.
Un paysage, un horizon haché, un souvenir
coloré qui s’estompe, défile. L’œuvre fait référence à la nuit avant notre
départ en trek, dans un champ près de Bokonbaev, dans la province d’Issyk-Kul.
Des champs s’étendaient jusqu’aux montagnes, la lumière déclinante les laissait
apparaître, mauves, roses, violacées. Des alouettes survolaient
constamment notre campement.
La technique utilisée s’approche de la fabrication des nattes de Chiy,
chaque branche est progressivement recouverte de laine teintée. Le geste m’a
été transmis par trois artisanes, lors du festival du Shirdak à Naryn.
Ici, il s’agit de roseaux récoltés au bord de la Meuse dans les Ardennes. La
laine est teinteée à la noix de galle et bois rouge. L’œuvre fait appel à
l’émotion ressentie à la vue des paysages qui défilent le long des routes.
Partir-revenir-repartir
2022
Vidéo
9’33 en boucle