L’odeur de l’Absinthe
2022
Branche d’absinthe du Kirghizistan, extrait d’une nouvelle de Tchinguiz Aïtmatov
photo ©Julie Freichel





Le terme absinthe vient du grec apsinthion et signifie « privé de douceur, elle symbolise l’absence ». Originaire des régions continentales à climat tempéré, elle pousse sur les terrains incultes et arides et sur les pentes rocheuses, au bord des chemins et des champs. En allemand, Wermut(absinthe) évoque la tristesse et l’amertume. L’expression « Wermutstropfen », littéralement « goutte d’absinthe » désigne l’inconfort, la douleur, qui se glisse dans une expérience heureuse en apparence, soit une pointe d’amertume qui ternit un moment de bonheur.



Extrait du carnet de voyage :

Juillet 2022, At-Bashy,

À Acha-Kaiyndy, les habitants sont accueillants, ils sourient et lèvent la main pour nous saluer. Les enfants s’adressent à nous avec quelques mots d’anglais appris à l’école. Nous marchons en direction des montagnes, à la recherche d’un endroit pour la nuit. Il fait chaud, nous longeons la rivière, le courant est vif et puissant. Plus nous nous éloignons du village, plus son cours devient étroit. Les berges verdoyantes sont magnifiques, j’ai rarement vu une herbe aussi généreuse, des orchidées sauvages parsèment les prairies.
Les soudes, Salsola, et les armoises šibak en kirghize, sont omniprésentes dans les steppes. L’absinthe est une armoise ou Artemesia, famille d’herbacées, arbrisseaux et arbustes, généralement aromatiques.
Son odeur enivrante accompagna la plus grande partie de notre itinérance. Nous plongeant sans cesse dans la fiction de Tchingiz Aitmatov, « L’œil du chameau » deuxième nouvelle du recueil « Le premier Maître ».
L’absinthe de l’anarkai ! Enfin
sa description prenait vie sous nos pieds, devant nos yeux et dans nos narines. J’en conserve un précieux morceau dans l’étui de mon appareil photo.








La terre est grande
2023
Laine feutrée, teinte à la noix de galle et verge d’or du canada
Vue de l’exposition “Tout à l’horizontale”, Ergastule, Nancy, mars 2023.





Les feutres suspendus expriment par le moyen de la couleur une sensation vécue et des émotions teintées par un instant précis du voyage : un souvenir mauve, vert absinthe ou brun terre. La laine teintée est disposée sont disposées en aplats aux bords indécis provoqués par le processus de feutrage. Les pièces ont été produites collectivement utilisant la technique traditionnelle Kirghize du feutrage au pied.


Extrait du carnet de voyage :

16 avril 2023, province d’Issyk-Kul,

Les couleurs sont douces à cette période de l’année : bleu-clair, mauve, brun pastel, vert-de-gris au sol, rose et blanc franc des fruitiers en fleurs, puis un vert acide presque jaune fait son apparition timide sur les branches des bouleaux, des saules et des ormes. Nous longeons la côte Nord du lac Issyk-Kul à bord d’une Marchroutka. À mesure que les paysages défilent, apparaît ce même bonheur ressenti en juin 2022, une reconnaissance profonde face aux circonstances, face à la chance inouïe de parcourir ces terres. J’observe les petites maisons blanches aux cadres de fenêtres en bois peints en bleu, les toits en tôle ondulée vert anis, les barrières en lattes aux couleurs fades dont la peinture s’écaille et de jolis portails à deux battants, assemblés en chevrons. La neige vient de se retirer, la terre paraît sèche, endormie, mais je connais l’explosion de verdure qui aura lieu bientôt, l’apparition de prairies saturées de végétation florissante et gorgée d’eau.



Extrait du journal d’atelier :

Mouzon, septembre 2022,

Àl’extérieur : l’automne, rouge vif, orangé, bordeaux, la Meuse blanche et grise, marron, le vert s’éteint, le ciel vire au gris, les pierres jaunes, beiges, blanchâtre, le rosé des maisons et des pavés de Mouzon.

Àl’atelier : Tanaisie, Millepertuis, verge d’or du Canada, noix, noix de galle, bois rouge, indigo, racine de rumex, prunelles et racine de prunellier, sureau yèble, oignon rouge et jaune, bois de campêche.

Mon travail, habituellement si sobre et monochrome, se trouve soudainement envahit de couleurs. Ne sachant que dire, que faire avec des couleurs si vives, mais emprise d’une appétence insatiable pour la teinture végétale, j’atténue la palette :  je fadis les nuances par un épuisement des teintures et en mélangeant les laines à la cardeuse, afin d’obtenir des couleurs plus délicates, des brun-rouge chinés, des gris-bleu poudré et mauve-marron.





Sans-titre
2023-2024
Bambou, laine, fil de coton, pierre calcaire.
Vue de l’exposition “Une histoire, une prière, un espoir” Musée du feutre à Mouzon. 





Vingt-deux « pierres du soleil » servent de poids sur le métier à natter, ce sont des pierres calcaires jaune-ocre typiques des Ardennes. Toujours par deux, d’un poids égal, elles assurent la régularité dans la tension des fils.
La méthode de fabrication des nattes de Chiy apprise au festival du Shirdak à Naryn en 2022, consiste à entourer soigneusement des tiges de laine teintée et cardée qui sont ensuite assemblées en surface, laissant apparaître progressivement un motif. Le nattage se fait sur une structure en bois, composée de deux modules posés au sol, le bois est découpé en demi-cercle sur la partie supérieure des montants, accueillant une barre de section circulaire. Cette traverse mobile est tournée vers l’avant à mesure que la fabrication de la natte progresse.
Au Kirghizistan, ces nattes servent à la fois de décoration lorsqu’elles sont enroulées de couleurs, mais également d’outils pour le feutrage. Le mouvement des branches frottée et roulée sur la laine accélère considérablement le processus de feutrage. Ici, le nattage devient un outil narratif, une frise qui se déroule comme un parchemin. Une histoire composée d’un répertoire de motifs entre figuration et abstraction ; un récit de voyage visuel, résultat d’une translation spontanée des formes observées en signes simples, évocateurs de souvenirs.





Le champ aux alouettes
2022
Roseau commun à balais, laine naturelle et teinte à la noix de galle et au bois rouge.






Un paysage, un horizon haché, un souvenir coloré qui s’estompe, défile. L’œuvre fait référence à la nuit avant notre départ en trek, dans un champ près de Bokonbaev, dans la province d’Issyk-Kul. Des champs s’étendaient jusqu’aux montagnes, la lumière déclinante les laissait apparaître, mauves, roses, violacées. Des alouettes survolaient constamment notre campement.
La technique utilisée s’approche de la fabrication des nattes de Chiy, chaque branche est progressivement recouverte de laine teintée. Le geste m’a été transmis par trois artisanes, lors du festival du Shirdak à Naryn.
Ici, il s’agit de roseaux récoltés au bord de la Meuse dans les Ardennes. La laine est teinteée à la noix de galle et bois rouge. L’œuvre fait appel à l’émotion ressentie à la vue des paysages qui défilent le long des routes. 













Entre les lignes
2023
Toile coton et lin Emmanuel Lang, verre trempé, bois, zinc




L’installation naît d’une collaboration avec l’entreprise Emmanuel Lang. Au-delà de la compréhension des techniques de fabrication textile, l’immersion dans l’usine, a permis la découverte de la vie sociale de l’entreprise. En marge des postes de travail, je fréquente les lieux où les conversations s’animent et les liens se tissent. Ces points de rencontre deviennent un terrain d’enquête privilégié. Niché derrière la grande cheminée en brique, se trouve le coin fumeur, sous un toit de tôle ondulée, sont disposées six chaises autour d’une petite table. Entre les lignes, est la rencontre inattendue entre deux symboles qui s’opposent : la cheminée d’usine et le coin clope. L’un emblématique du patrimoine matériel qui résiste au temps depuis 1856, le second, un espace représentatif de ce qui tend à disparaître : les histoires racontées par des générations d’ouvriers, le patrimoine immatériel, les savoir-faire transmis, le fonctionnement des anciennes machines et les secrets du métier. Matériellement, ce phénomène d’effacement se traduit par un processus de dé-tissage de la toile. Le nombre de fils soustrait agit sur la densité de la matière produisant un jeu d’opacités et de transparences.