La nuit tous les sons sont gris ?
2022
En colaboration avec Maxime Weller
Pièce sonore. Durée : 5mn
Biennale du Sentier des Passeurs, 2022, Helicoop.
Composée d’enregistrements de nuit réalisés sur le Sentier
des passeurs, la pièce proposée par les deux artistes souhaite brouiller les
perceptions et accroître l’attention à un environnement sonore. Le son passe
partout, il franchit le seuil entre nuit et jour et les auditeurs expérimentent
un décalage sensoriel, notamment entre la vue et l’ouïe. Cette discordance
temporelle évoque les longues heures de marche des fugitifs sur le Sentier des
passeurs.
Arrivé à l’emplacement de l'œuvre, le promeneur est invité à
lancer la lecture de la pièce sonore. Il peut alors mettre en relation écoute
et observation.
“Des sons se coulent au sein du silence sans en déranger
l’ordonnance. Parfois même ils en révèlent la présence et mettent en évidence
la qualité auditive d’abord inaperçue d’un lieu.
Même si le bruissement du monde ne cesse jamais, connaissant
seulement des variations différentes au gré des heures, des jours et des
saisons, certains lieux n’en donnent pas moins le sentiment d’une approche du
silence : une source se frayant un chemin parmi les pierres, une rivière venant
doucement lécher le sable, le cri d’une chouette au cœur de la nuit, le saut
d’une carpe à la surface du lac, le crissement de la neige sous les pas ou le
craquement d’une pomme de pin sous le soleil donnent un relief au silence. Leur
manifestation accentue le sentiment de paix qui émane du lieu. Ce sont des
créations du silence, non par défaut mais parce que le spectacle du monde n’y
est recouvert d’aucun parasite, d’aucun bruit.”
“La nuit accroît encore le malaise en privant de la sécurité
visuelle que procure le jour. Aux aguets, ils perçoivent sur cette toile de
fond le moindre frémissement du dehors ou le moindre craquement d’une armoire
comme autant de menaces. Il leur faut s’accoutumer au calme des environs,
apprivoiser les sons qui les entourent et cesser de voir l’absence de bruits
comme un mode d’approche sournois de l’ennemi. Le silence relâche en effet
l’emprise du sens, il désoriente les repères coutumiers et restitue
l’initiative à l’individu. Mais il exige de posséder les ressources symboliques
pour en jouir sans céder à la peur sinon, à l’inverse il ouvre les vannes du
fantasme.”
David Le Breton, Du Silence, Paris, Éditions Métailié, 2015, p. 151, p. 165