Tapis suspendus
2022-2023
6 photographies, Impressions numériques
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Ces images témoignent de la modernisation, de l’oubli des traditions, de la logique de consolation, et de la persévérance des gestes et des habitudes quotidiennes. Les tapis synthétiques et importés de Chine sont étendus au soleil, frappés régulièrement à sec, comme la tradition le réservait aux tapis de feutre reconnu pour attirer les parasites.
Extrait du carnet de voyage :
Juillet 2022, province de Naryn,
Tous les jours, je vois de nouveaux textiles et tapis étendus aux balcons, sur les structures en métal à l’extérieur des immeubles, sur les aires de jeu ou sur les barrières des parcs. Je les photographie ; leurs couleurs vives égayent les immeubles gris et vétustes datant de l’époque soviétique. Des touches de couleur au soleil, du bleu, du rouge, du violet intense, des camaïeux de marrons et des jaunes criards. Leurs dessins s’apparentent souvent à des motifs traditionnels mais il s’agit majoritairement de textiles synthétiques, des faux-semblants de Shirdak, des impressions d’Ala-Kiyz. Des pièces rapidement assemblées, des matelassages sommaires forment un simple quadrillage et de fausses fourrures au poil long et régulier.
Sans remettre en cause la praticité, la facilité d’entretien et l’aspect économique de ces textiles souvent importés de Chine, je me questionne sur la place du feutre aujourd’hui dans l’espace domestique Kirghize. Dans l’article « Kyrgyz Felt in the 20th and 21st centuries and it’s relationship to the Nomadic past » Dinara Chochunbaeva évoque les croyances ancestrales liées au feutre. Une matière qui réduit l’agressivité, ainsi les femmes plaçaient des tapis de feutre sous les pieds des guerriers à leur retour afin qu’ils puissent retrouver une vie paisible. Utilisés dans la médecine traditionnelle, des morceaux de feutre étaient imbibés d’eau salée et enroulés autour des plaies et fractures. Les cendres de feutre servaient à désinfecter et les défunts étaient enveloppés dans des couvertures de feutre.
Je dégaine furtivement mon appareil photo et réalise quelques clichés des tapis étendus au soleil. Le linge de maison et les textiles domestiques, même exposées ainsi aux yeux de tous dans l’espace public, sont empreints d’une intimité déconcertante et invitent à la discrétion.